Electromobilité : la Norvège, victime de son succès, revoit sa politique. Un enseignement pour la France
Où peut-on voir un embouteillage de véhicules électriques ? A Oslo, devant les bornes de recharge ! La capitale norvégienne vient en effet de tirer le signal d’alarme : ses 1300 points de charge ne suffisent plus à satisfaire les 80 000 voitures électriques et hybrides rechargeables en circulation dans l’agglomération. Les taux d’occupation des bornes de la ville sont dans le rouge. De nombreux utilisateurs doivent dorénavant patienter pour pouvoir se brancher.
La Norvège, vitrine mondiale de la mobilité électrique, est pour ainsi dire victime de son succès. Avec plus de 90 000 véhicules électriques et 27 000 hybrides rechargeables en circulation (septembre 2016), elle s’est équipée à grande vitesse en 5 ans. Le pays ne comptait que 2240 VE en 2011 ! Aujourd’hui, c’est la nation qui compte le plus grand nombre de voitures électriques proportionnellement à la population.
Il faut dire que les pouvoirs publics norvégiens ont su rendre l’électromobilité attractive. Le parlement norvégien s’est fixé pour objectif de voir rouler uniquement des véhicules à zéro émissions de gaz à effet de serre en 2025.
Et les mesures incitatives sont nombreuses. Les acheteurs de tels véhicules sont exemptés jusqu’ici de taxes (TVA à 25%, taxe d’importation) et de péages (autoroutes, ponts, tunnels). Ils embarquent sur les ferries gratuitement et peuvent emprunter les couloirs de bus. L’électricité bon marché (à 95% d’origine hydraulique) – voire offerte à Oslo – a fini de convaincre. Au final, la voiture électrique se vend moins chère qu’une thermique au pays des fjords.
Oslo doit améliorer son réseau d’infrastructures de recharge public et privé
Plus d’un véhicule sur trois vendu en Norvège est aujourd’hui électrique. Revers de la médaille : ces ventes sont allées plus vite que l’installation de bornes de recharge. Oslo, dont le trafic est composé à 40% de véhicules électriques et hybrides rechargeables, est arrivée à saturation.
Le réseau de recharge progresse de seulement 26% par an alors que le parc de véhicules branchables a augmenté de 100%. Etant partie très tôt dans l’équipement, la ville commence également à pâtir du vieillissement de certains points de charge : elle admet devoir s’équiper en chargeurs plus intelligents et plus rapides. Elle a également besoin d’aménager plus d’emplacements dédiés aux deux-roues électriques.
Les autorités de la ville reconnaissent donc qu’elles doivent faire un effort dans l’installation de bornes publiques : elles sont indispensables dans une ville où 60% des habitants vivent en appartement et ne disposent pas forcément de garage équipé. Mais la municipalité cherche d’autres solutions. Elle veut inciter les syndics d’immeubles et les propriétaires à installer des points de charge dans les parkings collectifs et ainsi désengorger les installations publiques, en favorisant la recharge nocturne.
Elle a également décidé de sortir du tout voiture en ville, électrique ou non : onze milliards d’euros vont être investis dans les transports en commun vers le biocarburant et l’électrique.
Le pays réfléchit à diminuer progressivement la circulation à caractère privé. Y compris celle des voitures électriques. Dorénavant, toute voiture électrique entrant ou sortant d’Oslo doit transporter au moins deux personnes – conducteur compris – pour emprunter les voies de bus aux heures de pointe. La fin progressive de l’exemption de péage pour les voitures électriques est aussi programmée pour 2018 : il faudra débourser 1,13 euro par passage au péage à l’entrée d’Oslo aux heures de pointe – ce qui reste cinq à six fois moins cher que pour les véhicules essence et diesel. La suppression de l’exemption de TVA à l’achat de ces véhicules est prévue elle en 2020.
Des leçons à tirer pour la France : l’enjeu prioritaire de la charge à domicile
La France, également engagée dans une forte électrification de son parc automobile, ne souffre pas encore du syndrome norvégien de la pénurie de bornes publiques. Mais la même problématique se posera à terme dans les centres urbains. Malgré les efforts d’équipement des collectivités (le cap des 20 000 PDC publics vient d’être dépassé, voir notre article sur ce sujet), l’espace privé urbain devra s’équiper en masse pour pouvoir répondre à terme à la demande de recharge.
Pour booster l’équipement en PDC privés, des aides existent pour les entreprises et les particuliers en logements collectifs qui souhaitent équiper de bornes les parkings (accessibles aux salariés ou au public). Il s’agit du programme ADVENIR qui vient couvrir les coûts de fourniture et d’installation de points de recharge à hauteur de 40% pour les entreprises et les personnes publiques et 50% pour le résidentiel collectif. Le dispositif ADVENIR, basé sur les certificats d’économies d’énergie (CEE), est pour l’instant financé jusque juin 2018. L’exemple norvégien le montre : la reconduction du dispositif au delà de cette date est indispensable.
En logement collectif, il convient aussi de simplifier « juridiquement » l’installation. Aujourd’hui, les utilisateurs ou futurs acheteurs de véhicule électrique peuvent invoquer leur droit à la prise pour installer une borne individuelle. Une simple notification en Assemblée générale des copropriétaires suffit, ce droit n’étant pas soumis au vote. Mais il faut cependant attendre l’AG – souvent plusieurs mois – pour signifier ses intentions. Une perte de temps qui freine certains acheteurs. L’Avere-France préconise donc que les pouvoirs publics simplifient ce droit à la prise par le simple envoi de la notification d’installation par courrier recommandé envoyé au syndic.
En analysant les premières difficultés d’Oslo, véritable « ville-cobaye » de l’électromobilité, il semble que tout doit être fait sans tarder pour renforcer le réseau d’infrastructures de recharge, public et privé, dans les grandes villes. Il est donc plus que nécessaire qu’ADVENIR soit prolongé en France sur la 4ème période des CEE pour durer jusqu’à fin 2020 a minima, et que les pouvoirs publics facilitent par tous les moyens le décollage de la recharge privée.
Illustration : Avere-France