Le gouvernement dévoile le projet de la nouvelle Programmation Pluriannuelle de l’Energie
[Adhérents] Fermetures de réacteurs nucléaires et de centrales au charbon, développement du renouvelable, stockage de l’électricité grâce au 1,2 million de voitures particulières électriques en circulation en 2023… Avec la Stratégie Nationale Bas Carbone publiée le 6 décembre dernier et le projet de Programmation Pluriannuelle de l’Energie publié le 25 janvier, le gouvernement français indique les mesures concrètes à mettre en place pour atteindre la neutralité carbone visée pour 2050.
Le gouvernement vient de publier la nouvelle Programmation Pluriannuelle de l’Energie, un projet qui vise à rendre le « système énergétique plus efficace et plus sobre, plus diversifié et donc plus résilient ». La PPE est l’expression opérationnelle des grandes orientations de l’Etat en matière de transition énergétique pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028. Toutes deux s’inscrivent ainsi dans la Stratégie française pour l’énergie et le climat présentée le 27 novembre 2018. La nouvelle PPE doit également être compatible avec les budgets carbone définis dans le cadre de la Stratégie Nationale Bas Carbone publiée le 6 décembre 2018. Enfin, elle intègre en annexe la stratégie de développement de la mobilité propre.
La nouvelle PPE fixe un objectif de baisse de la consommation énergétique primaire d’énergies fossiles à 32 % et de 13 % pour la consommation finale d’énergie (hors soutes internationales) entre 2015 et 2028 (page 360). Pour atteindre de tels objectifs, la fiscalité et les aides doivent être fléchées vers les véhicules hybrides rechargeables, électriques et hydrogène, qualifiés par le projet comme étant les plus performants afin d’engager une baisse importante et nécessaire des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques.
La Programmation Pluriannuelle de l’Energie propose ainsi cinq leviers à mobiliser dans le domaine des déplacements pour atteindre ces objectifs de réduction de la consommation finale :
- La décarbonation de l’énergie consommée par les véhicules ;
- L’amélioration de la performance énergétique des véhicules ;
- La maitrise de la croissance de la demande en déplacements, aussi bien pour les personnes que les marchandises ;
- L’amélioration du report modal vers des modes plus économes en énergie et moins émetteurs ;
- L’optimisation des véhicules.
1,2 million de voitures particulières rechargeables en 2023, 4,8 millions en 2028
L’électrification du parc automobile français est une étape nécessaire à la décarbonation de l’économie nationale. Plus efficace que les autres motorisations en termes de rendement énergétique, cette solution est privilégiée dans le domaine des transports.
Ainsi, la Programmation Pluriannuelle de l’Energie vise 1,2 million de voitures particulières électriques en circulation à horizon 2023. En complément, elle prévoit 170 000 véhicules utilitaires légers rechargeables en circulation en 2023 avec un objectif de 500 000 unités en 2028. En comparaison, le Contrat Stratégie de la Filière Automobile signé en mai 2018 annonce 600 000 modèles 100 % électriques et 400 000 hybrides rechargeables en circulation en 2022, sans distinction entre modèles particuliers et utilitaires légers. Cette progression rapide et continue devrait permettre aux modèles rechargeables de représenter 38 % des ventes en 2028, soit un parc total de 4,8 millions de véhicules 100 % électriques et hybrides rechargeables en circulation (page 297).
Porté par les obligations d’achat dans le cadre de renouvellements ou de nouvelles acquisitions, le parc roulant de bus et autocars électriques devrait atteindre 2 200 unités en 2023 et 5 900 en 2028 (page 299). Enfin, l’électrification des deux-roues motorisés et des navires, pour réduire la consommation de carburant et les émissions de polluants lorsque le bateau est à quai, est également inscrite dans le texte.
Améliorer la consommation énergétique des véhicules
L’évolution des gains de performance énergétique des véhicules et du mix énergétique devrait permettre de réduire la consommation énergétique du secteur des transports routiers de 16 %, de 40,1 Mtep en 2018 à 33,5 Mtep en 2028 (page 302). En parallèle, la consommation électrique du secteur des transports routiers devrait naturellement augmenter, passant de 0,05 Mtep en 2015 à plus de 1,20 Mtep en 2028 (page 303).
Pour atteindre de tels niveaux, l’Etat propose plusieurs actions à engager sur la première période 2019-2023 :
- Soutien aux normes européennes de baisse des émissions de CO2 pour les poids-lourds ;
- Accompagnement à l’émergence d’une filière industrielle française et européenne pour les batteries de quatrième génération ;
- Mise en place de mesures incitatives à la valorisation des produits en fin de vie pour favoriser le recyclage des matériaux ;
- Mise en place d’un outil d’information et de promotion du véhicule électrique à destination des consommateurs ;
- Poursuite des travaux pour rendre la fiscalité plus favorable aux véhicules à faibles émissions.
La PPE rappelle également les mesures complémentaires actuelles ou prévues, par exemple dans le projet de loi d’orientation des mobilités, pour accompagner le développement des modèles à faibles émissions (page 41) :
- Maintien du bonus écologique et de la prime à la conversion, avec pour cette dernière un objectif d’un million de bénéficiaires d’ici 2022 ;
- Equilibrage du coût total de possession entre modèles thermiques et rechargeables par la hausse du prix du carbone et le maintien des aides ;
- Mise en place d’avantages à l’usage : voies de circulation et places de stationnement réservées, développement des zones à faibles émissions et avantages en nature ;
- Développement d’une offre de deux ou trois-roues motorisés électriques ;
- Enfin, déploiement d’un réseau de recharge accessible au public en adéquation avec le nombre de véhicules en circulation et soutien à la recharge à domicile (amélioration du droit à la prise, maintien du programme ADVENIR et du Crédit d’impôt transition énergétique).
Encourager l’électrification de tous les modes de transport
Bien que le texte insiste sur la nécessaire neutralité technologique, la Programmation Pluriannuelle de l’Energie rappelle l’importance du développement des poids-lourds électriques. Ainsi, face aux modèles GNV qui bénéficient d’aides à l’amortissement depuis plusieurs années, la part de l’électrique devrait progresser rapidement, passant de 400 unités en circulation en 2023 à 11 000 en 2028 avec un objectif de 30 % des immatriculations en 2050. Pour y arriver, la PPE compte sur des dispositifs d’accompagnement financiers comme l’élargissement du suramortissement aux véhicules lourds électriques et hydrogène, mis en place par le projet de loi de finances 2019. Celui-ci pourrait également être ouvert aux bateaux électriques.
Lorsqu’il est produit par électrolyse d’électricité décarbonée, l’hydrogène est une des solutions permettant la décarbonation du secteur des transports à moyen terme. Le Plan hydrogène de juin 2018, décliné dans la PPE, vise ainsi 5 000 véhicules utilitaires légers et 200 véhicules lourds à hydrogène avec 100 stations d’avitaillement en 2023, et entre 20 000 et 50 000 utilitaires légers, 800 à 2 000 poids-lourds et 400 à 1 000 stations d’avitaillement en 2028 (page 210). Pour y arriver, le texte envisage entre autres de prolonger le dispositif de suramortissement « a minima dans les mêmes conditions que pour le GNV ».
Une réflexion sur un maillage du territoire pour la recharge à domicile et en itinérance qui ne semble pas permettre d’atteindre les recommandations de l’UE
Alors que le réseau d’infrastructures de recharge accessible au public est aujourd’hui suffisant au regard du nombre de véhicules rechargeables en circulation, celui-ci est amené à grandir en même temps que le parc roulant. Ainsi, plus de 100 000 points de recharge accessibles au public sont prévus sur l’ensemble du territoire à horizon 2022 selon le Contrat Stratégique de Filière. Cela permettra de respecter les objectifs de la directive européenne 2014/94/UE du 22 octobre 2014 sur les carburants alternatifs, qui vise un point de recharge pour 10 véhicules.
Cependant, d’ici à 2028, la PPE souhaite adapter ce ratio sur la base de deux critères : le lieu d’implantation et la puissance délivrée. Pour ce faire, le projet se base sur l’Enquête nationale transports et déplacement de 2008 (qui aura à échéance plus de 20 ans) et prend en compte :
- Des véhicules électriques offrant une autonomie de 200 kilomètres, soit des modèles de première génération sortis au début des années 2010 ;
- Une consommation moyenne de 15 kWh/100 kilomètres.
Le projet propose ainsi un premier scénario avec 2,2 millions de points de recharge lente et accélérée jugés suffisants pour couvrir les besoins. Cela représente 6,5 points de recharge pour 100 véhicules soit 1 points de recharge pour 15 véhicules en circulation (annexe 3).
Dans ce premier scénario, la grille tarifaire proposée :
- Est fonction de la puissance de la recharge ;
- Inclut une part fixe d’accès au service ;
- Inclut un tarif proportionnel au temps d’occupation, afin d’inciter l’automobiliste à libérer la place.
Deux variantes complémentaires ont été étudiées par la PPE (page 336) : l’une concernant un tarif forfaitaire pour la recharge lente (sans prise en compte du temps de stationnement) et une autre incluant une autonomie plus grande des véhicules électriques déterminée à 400 kilomètres.
Dans tous les scénarios, le prix de l’énergie n’a pas été pris en compte car il a été estimé qu’il n’apporterait aucun impact sur le choix de la puissance. Ainsi, le calcul est :
A retenir les éléments suivants :
- Pour les véhicules ne disposant pas de points de recharge àdomicile (16 % des véhicules), la PPE prévoit l’installation d’un nombre de points de recharge supérieur aux besoins identifiés dans le projet, soit pour les bornes 7 kW 5,7 points de recharge pour 100 véhicules (ou 1 pour 18 véhicules) et pour les bornes 22 kW 0,8 point de recharge pour 100 véhicules (ou 1 pour 125 véhicules) ;
- La clef de répartition des infrastructures de recharge varie également selon le lieu d’implantation des bornes : de 4 points de recharge 7 kW pour 100 véhicules en zone rurale (soit 1 pour 25 véhicules) à 11 points de recharge pour 100 véhicules en zone urbaine (soit 1 pour 9 véhicules). Le ratio peut également varier en fonction de la tarification (6,9 points de recharge pour 100 véhicules, soit 1 pour 15 véhicules, si le tarif est bas, les utilisateurs n’étant pas incités à libérer rapidement la place) ou de l’autonomie des véhicules (5,8 points de recharge 7 kW pour 100 véhicules, soit 1 pour 17 véhicules, si l’autonomie passe de 200 à 400 kilomètres) ;
- Le long des grands axes routiers, la Programmation Pluriannuelle de l’Energie recommande d’installer à intervalles réguliers des points de recharge d’une puissance de 22 kW (sans préciser s’il s’agit de courant continu ou alternatif, ou bien s’il s’agit d’un niveau de puissance minimal de 22 kW) pour répondre aux besoins des automobilistes en itinérance. La PPE précise également que le réseau devra être « suffisamment dimensionné pour absorber les pointes saisonnières ». Ainsi, sans précision sur le niveau de puissance indiqué à 22 kW (le texte utilisant les termes « forte puissance » pour désigner aussi bien des bornes 22 kW que supérieures à 50 kW), cette disposition ne semble pas être en mesure de répondre ni à la possibilité d’une recharge rapide de tous les véhicules du marché, ni aux besoins des automobilistes, ni aux capacités des batteries, actuelles et futures.
Cette approche permet ainsi d’évaluer le nombre moyen hebdomadaire de sessions de recharge à horizon 2028. Cependant, la recharge à très haute puissance n’est pas prise en compte alors que celle-ci devrait être largement déployée d’ici-là.Dans tous les cas, ces calculs s’éloignent de la recommandation de la directive européenne.
La PPE identifie des moyens de financement pour les infrastructures de recharge dont ADVENIR et le CITE
Aussi, entre 2019 et 2023, le projet souhaite continuer de mobiliser le Crédit d’Impôt Transition Energétique et les Certificats d’Economie d’Energie, tel le programme ADVENIR, pour financer l’installation de nouvelles bornes. Le CITE devrait être retravaillé en 2020 avec de nouvelles mesures (page 231) :
- Un nouveau barème forfaitaire qui tiendra compte de l’efficacité énergétique ;
- Un élargissement aux propriétaires-bailleurs ;
- Et un versement aux ménages les plus modestes au moment des travaux et non pas lors de la régularisation des impôts.
Concernant le financement des infrastructures sur les grands axes routiers, la PPE identifie la mise en place de clauses intégrées dans les nouveaux contrats de concession d’aires de service.
Développement des énergies renouvelables
Rappelons que l’augmentation de la consommation d’électricité entrainée par la recharge des véhicules sera compensée en partie par les économies d’énergie réalisées sur d’autres postes comme le logement ou l’industrie. Surtout, les batteries permettront de stocker l’électricité produite de façon intermittente et ainsi lisser les appels de puissance qui seront limités grâce au développement de la recharge intelligente.
Afin de compenser la baisse de la part du nucléaire dans le mix énergétique français (moins de 50 % de la production en 2035 grâce à l’arrêt de 14 réacteurs nucléaires) et la fermeture des quatre dernières centrales au charbon prévue pour 2022, la Programmation Pluriannuelle de l’Energie prévoit le doublement des capacités de production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables à 113 GW à horizon 2028.
Le calendrier des appels d’offres prévus pour les futures capacités hydroélectriques, éoliennes et photovoltaïques a été dévoilé, et ceux-ci devraient rapidement s’enchainer avec, par exemple, 22 GW d’éolien terrestre mis en service d’ici dix ans. La multiplication des projets devrait entrainer une baisse des coûts de production et donc une évolution à la baisse des tarifs d’achat. Par exemple, le futur parc éolien de Dunkerque devrait produire aux alentours de 70 €/MWh, soit deux fois moins que le prix des parcs marins issus des premiers appels d’offres.
Sujet sensible auprès de la population, la construction de nouvelles centrales photovoltaïques devraient se faire sur d’anciennes friches ou sur des sites déjà construits, comme des parkings ou des toitures. Championne des hypermarchés, la France dispose d’espaces suffisants pour accueillir des centrales photovoltaïques en nombre sans craindre d’impacts négatifs sur le foncier disponible. Pour favoriser les projets rentables à terme sans subventions publiques, les installations de plus de 30 MW déployées sur des terrains dégradés devraient bénéficier d’un déplafonnement des aides.
Concernant les parcs éoliens, la PPE prévoit l’installation d’éoliennes de plus grande puissance et le nouvellement de l’existant, ce qui permettrait de multiplier par 2,5 la puissance disponible par rapport à 2017 en doublant le parc. Cependant, l’absence d’autorité environnementale est un frein au développement de l’éolien français qu’il faudra lever pour atteindre cet objectif.
Enfin, de nouvelles possibilités pour l’autoconsommation et autoproduction, individuelle ou collective à la maille d’un quartier par exemple, sont prévues par la PPE.
Un texte qui va entrer en consultation
Le document de 368 pages annonce une politique énergétique ambitieuse pour la France avec des objectifs à long terme, au-delà de 2029. Cependant, il lui faudra encore être validé lors de la consultation à venir, entre autres par le Conseil National de la Transition Ecologique, le Conseil Supérieur de l’Energie et différents comités d’experts. Elle devrait également faire l’objet d’une consultation publique en ligne, pendant 45 jours entre mai et juin prochain, avant la publication du décret PPE prévu au plus tôt en milieu d’année.
Illustrations : Programme Pluriannuelle de l’Energie