Métaux rares et mobilité électrique : qu’en est-il vraiment ?
Au cours des dernières semaines, l’impact écologique des véhicules électriques a été maintes fois mis à mal. Pollution déplacée, conséquences de la production des batteries sur l’environnement, extraction de minerais… L’utilisation de terres et métaux rares est régulièrement pointée du doigt par les détracteurs de la mobilité électrique. Pourtant, les problématiques sont différentes. Faisons le point pour démêler le vrai du faux.
Métaux rares : de quoi parle-t-on ?
D’après l’Union Européenne, il existe 27 matières premières dites critiques, comme l’iridium, le cobalt ou le platine. Ces minerais, dotés de propriétés exceptionnelles, sont regroupés dans le tableau périodique des éléments chimiques de Mendeleïev.
Parmi elles, on désigne 17 matières minérales nommées « terres rares » : le candium, l’yttrium et quinze lanthanides.
Bien qu’elles soient utilisées dans de nombreux domaines industriels depuis les années 1940, les terres rares ont été découvertes bien plus tôt ! En effet, la première terre rare a été découverte en 1787 dans une carrière près de Stockholm. Puisque ces matières étaient inconnues à l’époque, elles ont été considérées comme rares, d’où leur appellation.
Pourtant, ce terme prête à confusion : ces terres n’ont de rare que leur nom ! Présentes dans l’ensemble de la croute terrestre, leurs réserves sont par exemple 200 fois plus abondantes que celles de l’or ou du platine. Le cerium, qui représente à lui seul 40 % des terres rares consommées, est aussi répandu dans l’écorce terrestre que le cuivre.
Un marché mondial perturbé par la Chine
Les terres rares se trouvent en de nombreux endroits du globe. Un retour sur l’histoire de l’extraction de ces métaux stratégiques pour l’industrie mondiale permet de mieux comprendre les enjeux géopolitiques qui en découlent.
Dans les années 1940, les premières exploitations se trouvaient au Brésil et en Inde. De nombreux gisements ont été découverts par la suite en Afrique du Sud, principal producteur pendant vingt ans. Par la suite, de nombreuses mines ont été creusées aux États-Unis et en Australie au début des années 1970, détrônant les pays africains.
Dans les années 1980, la Chine s’est lancée dans l’extraction de terres rares. Grâce à une main d’œuvre peu chère et des méthodes industrielles peu respectueuses de l’environnement, le pays a pu baisser fortement ses prix de vente des terres rares sur le marché mondial. Ce dumping a ainsi conduit à la fermeture de nombreuses mines à travers le monde, permettant à la Chine de devenir le premier pays extracteur mondial au début des années 2000. Ainsi, avec seulement 30 à 40 % des réserves mondiales, la Chine représente désormais 90 % de la production planétaire.
Afin de faire face à sa propre demande et développer une économie à valeur ajoutée, l’Empire du Milieu a décidé en 2009 la mise en place de quotas d’exportation sur les terres rares. Cette décision unilatérale, condamnée par l’Organisation Mondiale du Commerce, s’est accompagnée d’une forte hausse des prix à l’achat : certains métaux ont ainsi vu leur cours multiplié par 2 000 ! La hausse a surtout concerné les oxydes de néodyme et de praséodyme, le prix des autres terres rares ayant suivi par effet d’entrainement de manière plus modeste et inégale. Ces dernières ne doivent donc pas être observées comme un ensemble homogène mais plutôt une par une et par marché.
Ces restrictions d’exportation chinoises ont par la suite incité de nombreux pays à relancer leurs activités d’extraction, tandis que d’autres se sont tournés vers le recyclage ou les alternatives aux terres rares. Aujourd’hui, les pays fournisseurs se trouvent sur les cinq continents : le Brésil (qui possède environ 22 millions de tonnes de terres rares, soit plus de la moitié de celles de la Chine), l’Inde, les États-Unis, la Russie, l’Australie… En Europe, 40 % de la demande en terres rares est fournie par la Chine, 34 % par les États-Unis et 25 % par la Russie.
Des métaux utilisés dans de nombreux domaines
Les terres rares offrent de nombreuses propriétés physiques utilisées dans de multiples domaines industriels et technologiques : haute conductivité thermique et électrique, propriétés catalytiques, magnétisme…
Lors de leur découverte, ces métaux étaient principalement utilisés pour la fabrication de pierres à briquet ou de colorants pour des objets en terre cuite. Durant les années 1960, l’ouverture de nombreuses mines à travers le monde a permis la fabrication de nouveaux produits comme les téléviseurs couleurs. Aujourd’hui, les terres rares sont utilisées dans de nombreux objets : les écrans d’ordinateurs, les lampes LED, les aspirateurs, les éoliennes ou les panneaux photovoltaïques. Ce sont donc des matériaux stratégiques pour la transition énergétique.
Des terres rares dans tous les véhicules, thermiques comme électriques
Alors que l’on pourrait penser que seules les voitures électriques utilisent des terres rares, il est important de rappeler que 26 % de la production mondiale de ces minéraux est utilisée pour les modèles thermiques. En effet, l’industrie pétrolière en utilise pour raffiner le pétrole, tandis que les constructeurs automobiles s’en servent pour fabriquer des convertisseurs catalytiques destinés à réduire la pollution liée au diesel.
Aujourd’hui, la grande majorité des véhicules rechargeables dispose de batteries lithium-ion, tandis que les modèles plus anciens sont dotés de plomb ou de nickel-métal-hybride. Cette ancienne technologie de batterie utilise une électrode négative constituée d’un alliage de lanthane et de pentanickel, représentant plusieurs kilos de terres rares. Ce qui n’est pas le cas des batteries lithium-ion, le lithium étant un métal alcalin.
Aussi, on ne peut nier la présence de terres rares dans l’ensemble des véhicules récents, rechargeables ou thermiques. Chaque année, 20 à 23 % des terres extraites permettent de fabriquer des aimants permanents pour les moteurs électriques de petite taille destinés par exemple aux lève-vitres et aux rétroviseurs électriques.
Dans les modèles électriques, les terres rares sont également utilisées pour la fabrication des carters et des aimants équipant les moteurs de traction, dans lesquels elles peuvent représenter jusqu’à 30 % des composants. Cependant, il est déjà possible de s’en passer pour la chaine de traction, que ce soit pour le moteur ou la batterie. Depuis 2015, Renault utilise pour la ZOE un moteur synchrone à rotor bobiné, où les aimants sont remplacés par un bobinage. « Si cette technologie n’atteint pas aujourd’hui le niveau des moteurs à aimants, elle ne peut qu’être améliorée », précise Joseph Beretta, Président de l’Avere-France et ancien ingénieur en charge du domaine énergie et technologie au Groupe PSA. Du côté des batteries, la technologie LMP développée par le groupe Bolloré n’utilise ni solvant, ni terres rares, ni cobalt. Des problèmes d’approvisionnement en terres rares pourraient alors être perçus comme une bonne nouvelle pour la mobilité électrique, les constructeurs automobiles pouvant facilement se passer d’aimants dans les véhicules électriques.
« Les aimants NdFeB ont les meilleures capacités de force d’aimantation et de persistance pour une taille très réduite par rapport aux aimants classiques. Ils demeurent ainsi une alternative économique très intéressante pour élaborer des moteurs électriques à très hauts rendements, permettant la miniaturisation et la réduction massique des équipements » rappelle Joseph Beretta. Selon les analystes d’UBS (2015), la production de 42 millions de véhicules électriques chaque année à travers le monde ne nécessiterait que 30 à 70 000 tonnes d’aimants, soit à peine 2,5 fois la quantité utilisée en 2016.
Toyota, en coopération avec l’organisme japonais NEDO, vient par exemple de développer un aimant économe en terres rares. Pour atteindre les mêmes performances qu’un aimant « classique », les ingénieurs japonais ont utilisé 50 % de néodyme en moins et ont remplacé le terbium et le dyprosium par du lanthane et du cérium, des terres rares plus légères et plus abondantes, donc moins chères. Cet aimant pourrait être installé dans les voitures électriques dès 2020.
Il est également possible d’utiliser des moteurs à induction, dits asynchrones, fonctionnant sans aimants. Bien qu’ils soient plus volumineux, ils sont cependant plus faciles à refroidir.
Du côté des batteries, certains équipementiers comme SAFT et E4V utilisent déjà du graphite synthétique. Le graphite naturel, de moindre qualité, est de toute manière de moins en moins disponible. Les mines d’extraction sont moins nombreuses et de plus en plus profondes, entrainant une hausse des coûts d’extraction. Il faut donc se diversifier et développer des solutions synthétiques. Tesla a par exemple choisi la technologie lithium-titanate sans graphite, qui offre des performances équivalentes au lithium-ion grâce à des propriétés physicochimiques mieux maitrisées.
L’enjeu du cobalt
Alors que certaines terres rares peuvent facilement être remplacées, l’utilisation du cobalt – qui n’en est pas une – risque d’être plus problématique pour la fabrication des batteries. L’approvisionnement pourrait ainsi devenir critique dès 2050, avec une demande deux fois supérieure aux réserves identifiées aujourd’hui.
L’extraction du cobalt est un enjeu géopolitique fort, puisque 50 % des réserves mondiales se situent en République Démocratique du Congo. Conscient de ses richesses stratégiques, le pays a récemment multiplié par cinq les royalties demandées, dans le cadre d’un nouveau plan minier. Les taxes à l’exportation sont quant à elles passées de 2 à 5 %. Alors que les conditions de travail dans les mines congolaises sont observées de près par des organismes non gouvernementaux, le pays souhaite améliorer son image et vient de lancer un programme de traçabilité pour promouvoir un « cobalt éthique ».
L’approvisionnement est également à surveiller de près : Glencore, une société anglo-suisse, extrait la moitié de la production mondiale de cobalt. La société a récemment signé un contrat avec l’entreprise chinoise GEM pour lui garantir un tiers de sa production, soit 52 800 tonnes pour les trois prochaines années.
Il est donc important de trouver des alternatives dès aujourd’hui, en se tournant vers d’autres pays comme l’Australie, le Canada ou la Russie qui disposent également de mines de cobalt, ou bien d’anticiper une filière du recyclage des batteries.
L’importance du recyclage
Une étude publiée en 2013 par l’Institut d’Études Géologiques des États-Unis a estimé les réserves mondiales d’oxydes de terres rares à 110 millions de tonnes. En 2012, à peine 110 000 tonnes de métaux ont été extraites : au rythme actuel, nous avons donc plus de 800 ans de production devant nous !
Pourtant, la réutilisation des matériaux issue d’anciennes batteries permet de réduire considérablement la consommation de nouveaux métaux, et donc les impacts induits sur les milieux naturels. Depuis 2006, l’Union Européenne impose aux constructeurs automobiles de recycler au moins 50 % des composants des batteries lithium-ion, ce qui permet de réutiliser du cobalt, du nickel, du cuivre et du lithium. Au Brésil, l’Allemagne finance actuellement un projet de recherche portant sur la récupération des terres rares dans les résidus miniers de phosphate.
Aujourd’hui, la filière du recyclage ne se concentre que sur les batteries de petite taille, que l’on trouve dans les appareils mobiles comme les téléphones portables et les tablettes. Les entreprises s’organisent désormais afin de développer des procédés industriels de plus grande capacité pour accueillir en nombre des accumulateurs de plus grande taille. La gamme des matériaux récupérés peut également être élargie aux plastiques et à l’aluminium par exemple.
Même si la rentabilité économique de cette activité est aujourd’hui à améliorer, le recyclage doit être encouragé. L’augmentation du nombre de batteries à recycler permettra d’améliorer la profitabilité du secteur dans les années à venir. La filière devra ainsi être prête pour accueillir les premiers accumulateurs arrivés en fin de vie à horizon 2025-2030.
L’utilisation de matières de synthèse en remplacement de terres rares, la réutilisation des batteries en seconde vie ainsi que le recyclage des matériaux lorsque ces dernières arrivent en fin de vie permettent de relativiser leurs conséquences sur l’environnement. Durant les années à venir, il faudra donc rester vigilant sur les impacts liés à l’extraction, bien que les méthodes les plus récentes soient plus respectueuses des milieux.
Des impacts environnementaux que l’on peut limiter
L’extraction et le raffinage des terres rares n’est pas sans effet sur l’environnement, surtout en ce qui concerne les rejets de métaux lourds dans la nature, entrainant une acidification et un déséquilibre des milieux naturels et des eaux. Pourtant, des techniques existent déjà pour réduire ces derniers à leur strict minimum.
Les impacts environnementaux varient en fonction des méthodes industrielles et des normes environnementales appliquées par les pays producteurs. Aux États-Unis par exemple, celles-ci sont très strictes. La Chine, longtemps pointée du doigt pour son industrie lourde et sa gestion douteuse des déchets, a fait fermer plusieurs mines ne respectant pas les normes en vigueur. De nombreux pays ont ainsi préféré arrêter l’exploitation de leurs mines afin de se conformer à celles-ci.
Ces impacts sont-ils malgré tout comparables à ceux des véhicules thermiques ? Les émissions de particules fines et de gaz à effet de serre ont des conséquences non-négligeables sur la santé publique et le réchauffement climatique. L’extraction, le raffinage et le transport du pétrole sont des activités également très polluantes. En comparaison, la production d’électricité peut être faiblement carbonée comme en France, d’autant plus avec l’augmentation de la production issue des sources d’origine renouvelable.
Crédits : Nissan / IUPAC