Programmation pluriannuelle de l’énergie : analyse du projet révisé pour la mobilité électrique
[Adhérents] Après une première version présentée en janvier 2019, un projet révisé de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et son décret ont été mis en consultation publique du 20 janvier au 20 février. L’Avere-France a participé au débat public en apportant sa position sur la mobilité électrique et livre ici son analyse du texte.
Une programmation pluriannuelle de l’énergie enrichie qui gagnerait néanmoins à être plus précise sur des enjeux clés
Le scénario de référence de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en matière d’électrification n’a pas évolué depuis la première version présentée début 2019 et repose sur les mêmes hypothèses :
- Multiplication par 5 des ventes de véhicules électriques d’ici à 2022 par rapport à 2017
- Part croissance des véhicules électrifiés dans le parc :
- 27 % de voitures particulières électriques et 7 % d’hybrides rechargeables en 2028
- 35 % de voitures particulières électriques et 10 % d’hybrides rechargeables en 2030.
La nouvelle version de la PPE mise en consultation n’a pas connu une grande évolution sur le fond et les propositions d’action sont inchangées. Toutefois, si les besoins en infrastructures de recharge font l’objet d’une simulation plus détaillée, certaines hypothèses et résultats restent discutables.
Des hypothèses de marché inchangées pour 2023 et 2028
Les perspectives d’évolution du marché n’ont, elles aussi, pas évolué depuis la dernière version :
- Véhicules particuliers : 660 000 VE et 500 000 VHR en 2023, 3 000 000 VE et 1 800 000 VHR en 2028
- Véhicules utilitaires légers : 170 000 électrifiés en 2023, 500 000 en 2028
- Poids-lourds électriques : 400 unités en 2023, 11 000 en 2028
- Autobus, autocars électriques : 2 200 unités en 2023, 5 900 en 2028.
Une meilleure prise en compte des besoins en infrastructures de recharge
La recharge : des enjeux mieux définis…
La version 2020 de la programmation pluriannuelle de l’énergie est plus exhaustive sur les enjeux de la recharge, que ce soit sur le domaine privé ou public.
Elle rappelle l’importance de « faciliter au maximum l’installation des points de recharge dans les bâtiments résidentiels », bien que l’effectivité du « droit à la prise » souffre encore de nombreux obstacles. Les enjeux d’une répartition réfléchie des points de recharge ouverts au public en fonction des besoins de chaque territoire et de l’interopérabilité, notamment pour la recharge à haute puissance, sont également bien appréhendés. Enfin, la PPE appelle un effort supplémentaire pour « garantir un niveau de service satisfaisant des bornes de recharge » que les textes d’application de la loi d’orientation des mobilités devraient accompagner.
Par ailleurs, elle confirme que le système électrique ne devrait pas être fragilisé par l’augmentation massive du nombre de véhicules électriques, ce qui a été démontré par l’étude RTE/Avere-France « Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique » de mai 2019.
L’Avere-France salue l’intégration de l’alimentation à quai comme levier pour accélérer l’électrification du transport maritime. Absent de la première version, l’incitation au raccordement à quai permettra de décarboner les transports fluviaux et réduire la pollution dans les agglomérations portuaires.
… mais des hypothèses fragiles sur la caractérisation des besoins en infrastructures de recharge
Depuis janvier 2019, l’analyse des besoins en infrastructures de recharge pour véhicule électrique a été revue et augmentée. Elle bénéficie notamment de l’intégration d’un modèle du Forum International des Transports (ITF) de novembre 2019 contenant une projection du parc des ménages et des entreprises par année jusqu’en 2050. La simulation concerne la période 2020-2040 avec une étape tous les deux ans. Les besoins sont estimés à partir de plusieurs hypothèses, notamment :
- Le type de territoire
- Les types de recharge (normale à domicile, sur lieu de travail et en espace public, rapide en espace commercial et en espace public)
- Le taux de disponibilité des infrastructures
- L’évolution de l’autonomie (pour les modèles 100 % électriques : 270 kilomètres en 2018, 405 en 2030, 540 en 2050 ; autonomie fixe de 40 kilomètres pour les hybrides rechargeables)
- Un seuil de tolérance de kilomètres parcourus avant de chercher à se recharger (2/3 de l’autonomie avec un écart-type de 1/10)
- La distance moyenne parcourue au quotidien.
Malgré cette adjonction, cette simulation se reporte toujours aux données de l’Enquête nationale Transports et Déplacement de 2008 pour identifier des besoins jusqu’en 2028, soit deux décennies plus tard. Les évolutions considérables de l’écosystème de la mobilité électrique, notamment les caractéristiques des véhicules légers électriques (autonomie, gamme…), ne sont donc pas prises en compte. Par ailleurs, l’hypothèse établissant que les entreprises satisferont l’ensemble des besoins de recharge de leurs flottes sur le domaine privé est contestable. D’une part, certaines entreprises ne disposent pas de parking. D’autre part, les flottes de véhicules peuvent avoir des besoins spécifiques de recharge d’appoint (logistique, transport de personnes…), notamment en recharge rapide.
Sur les résultats
La nouvelle PPE préconise, d’après le scénario central de la simulation, l’installation de 300 000 bornes de recharge en 2028, ce qui est cohérent avec les perspectives du marché et le ratio de 1 pour 10 établi par la Commission européenne (directive européenne 2014/94/UE du 22 octobre 2014 sur les carburants alternatifs). Toutefois, elle considère que seules 760 000 bornes de recharge seront nécessaires en 2040, soit un point de recharge pour 18 véhicules. Ce décrochage du taux s’expliquerait par l’évolution des besoins : augmentation de l’autonomie des véhicules, diminution du nombre d’hybrides rechargeables, rotation optimisée de l’utilisation des bornes. Il semble pour l’heure peu envisageable de s’affranchir de ce ratio sans régler les problématiques liées au droit à la prise dans le résidentiel collectif d’une part et sans mener une réflexion au niveau européen d’autre part.
Sur la publicité de la simulation
L’Etat devrait produire une analyse prospective détaillée des besoins de la France en infrastructures de recharge pour véhicules électriques, qu’elles soient ouvertes au public ou non. Cette étude pourrait établir un nouveau ratio infrastructures/véhicules, évolutif dans le temps et en fonction des territoires. Préalablement, la simulation réalisée dans le cadre de la PPE pourrait être rendue publique.
L’électromobilité écartée des obligations de la directive RED II
La Directive des Energies renouvelables, qui doit être transposée d’ici juin 2021, fixe un objectif minimal de 14 % d’énergie renouvelable dans la consommation finale d’énergie dans le secteur des transports d’ici 2030. Bien que RED II présente explicitement l’électricité comme un moyen d’atteindre cet objectif, la programmation pluriannuelle de l’énergie ne met en avant que les biocarburants. L’Avere-France souhaite que l’électricité soit pleinement prise en compte comme un carburant alternatif permettant d’atteindre ces 14 % d’énergie renouvelable.
Soutien de 50 millions d’euros par an pour la mobilité hydrogène
Les deux versions de la PPE sont identiques en ce qui concerne les infrastructures d’avitaillement pour les véhicules à hydrogène. Ainsi, les objectifs sont-ils :
- 2023 : 5 000 véhicules utilitaires légers et 200 véhicules lourds (bus, camions, trains, bateaux), 100 stations alimentées en hydrogène produit localement
- 2028 : 20 000 à 50 000 véhicules utilitaires légers, 800 à 2000 véhicules lourds et de 400 à 1 000 stations.
Le nouveau projet de PPE intègre le soutien à la filière hydrogène dans sa mise en conformité avec le réhaussement à 33 % de l’objectif de consommation d’énergie d’origine renouvelable en 2030. Ce soutien se chiffrera à 50 millions d’euros par an, en plus du plan d’investissement d’avenir (PIA). La version précédente ne prévoyait que 100 millions d’euros sur toute la période 2019-2023.
Des objectifs qui restent à préciser dans le décret PPE (art. 6)
Lors de la présentation d’un premier projet de décret en mars 2019, nous nous interrogions sur l’absence d’objectifs propres aux poids-lourds électriques et d’objectifs d’installation de points de recharge en 2028 au sein de l’article 6 intitulé « Mobilité propre ». La nouvelle version du décret en consultation reste inchangée sur ces points.
L’article 6 du projet de décret prévoit également des objectifs de déploiement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques ne correspondant ni à la PPE, ni aux besoins.
Tout d’abord, il fixe un objectif de 100 000 points de recharge ouverts au public au 31 décembre 2023, enregistrant ainsi un retard sur le Contrat stratégique de filière Automobile signé par l’Etat en mai 2018. En effet, le CSF prévoit déjà cet objectif de 100 000 points de recharge pour la fin 2022. Le projet de décret semble donc sous-évaluer les besoins du parc roulant de véhicules électriques à l’horizon 2023 et acter le non-respect du Contrat stratégique de filière à l’horizon 2022.
Par ailleurs, il n’inclue pas d’objectif en 2028 pour le déploiement d’infrastructures de recharge alors même que la PPE préconise un chiffre de 300 000 points de recharge à cette échéance (voir scénario central de la simulation réalisée par l’administration, en annexe). Selon l’administration, fixer un objectif précis pour 2028 serait « prématuré » car le ratio de la Commission européenne n’est que « indicatif » et que nous n’avons pas encore « le recul nécessaire pour juger de son adéquation avec la situation et les usages français ». Cependant, tant que l’accès à la recharge à domicile ne sera pas assuré pour tout le monde et que le droit à la prise ne sera pas respecté dans le résidentiel collectif, un haut niveau d’équipement en infrastructures de recharge ouvertes au public sera nécessaire.
Une absence d’objectif spécifique à l’électrification des poids-lourds
Alors que les véhicules légers disposent d’objectifs spécifiques d’électrification pour 2023 et 2028, le projet de décret est moins précis concernant les poids-lourds, regroupés sous l’appellation « véhicules lourds à faibles émissions ». Ceci renvoie au décret du 11 janvier 2017 définissant les véhicules à faibles émissions dont le poids total autorisé en charge excède 3,5 tonnes en fonction du type de carburant utilisé et inclut aussi bien l’électricité que l’hydrogène et le gaz.
La PPE intègre pourtant bien des objectifs d’électrification des poids-lourds, à savoir 400 unités en 2023 à 11 000 en 2028, avec un objectif à plus long terme visant 30 % des immatriculations en 2050. La répartition entre modèles électriques et GNV n’est plus précisée dans le projet de décret. Ces éléments devraient être repris dans le décret.
Quelques rappels :
- Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) : feuille de route pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France et respecter les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de court-moyen terme (les budgets carbone) et de long terme (- 40 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, neutralité carbone à l’horizon 2050
- Programmation pluriannuelle de l’énergie : plan d’actions compatibles avec les objectifs de la SNBC visant à atteindre les objectifs des budgets carbone
- Stratégie pour le développement de la mobilité propre : volet annexé à la PPE traitant plus spécifiquement des enjeux de la mobilité propre.